Description du projet
Le sacre de Polanski aux Césars est dû à la propagation du virus de la bêtise et de l’indifférence
Le foyer de contagion a pourtant été identifié depuis un moment déjà : le conseil d’administration de l’académie des Césars présidé par Alain Terzian. Hélas, ce virus-là semble encore plus virulent que l’autre, puisqu’il continue de faire des ravages deux semaines après sa démission collective, en consacrant non pas un bon film et l’équipe qui y a participé mais l’homme accusé d’agressions sexuelles par douze personnes qui l’a réalisé.
« J’ai tendance à me placer du côté de celui qui est seul contre tous », a déclaré Fanny Ardant à l’issue de la cérémonie, pour apporter son soutien à Polanski.
Et moi qui prenais Fanny Ardant pour une femme intelligente, en tout cas capable de compter sur ses doigts… Ou alors on n’a pas le même dictionnaire donc pas la même définition de la solitude, mais pour moi, la solitude, c’est quand on est un(e). Or son pote n’est pas exactement « seul contre tous » puisqu’il a bénéficié du soutien de la majorité des 4313 électeur.ices qui lui ont décerné le 10ème César de sa carrière.
C’est pour ça que je me dis que ce virus dont on ne parle pas attaque les neurones et rend les gens complètement abrutis. Je ne peux pas croire que les arguments que je lis partout depuis que J’accuse est sorti sur les écrans en novembre dernier émanent d’esprits sains. Je ne peux pas le croire parce que si j’y croyais alors ma foi en l’humanité coulerait à pic, un peu comme Leonardo Di Caprio à la fin de Titanic : la bêtise d’une partie de l’humanité est ma plache de salut contre la misanthropie définitive, laissez-moi faire ma Kate Winslet et m’y accrocher jusqu’à ce que les secours arrivent.
Parce qu’il faut être atteint.e pour déplacer le débat de Polanski à Zola comme l’a fait Jean Dujardin, avant d’effacer son post sur Instagram. Il faut avoir une burrata tiède entre les deux oreilles pour faire comme si les féministes s’appropriaient le combat de Zola alors que le cinéaste lui-même dressait un parallèle entre le choix du sujet et sa vie personnelle dans le dossier de presse du film. Et il faut avoir l’odorat salement perturbé pour poster une photo – supprimée également depuis #courage – légendée « je me casse, ça pue dans ce pays ».
Il faut être atteint.e pour arguer que J’accuse est un bon film, comme si deux heures de bon cinéma compensait largement une dizaine d’accusations d’agressions sexuelles par des jeunes filles âgées de 9 à 18 ans. Il faut être atteint.e pour accorder l’impunité à un mec dès qu’il obtient plus de 4 étoiles dans Télérama. Pas de bol pour Christophe Ruggia, l’agresseur présumé d’Adèle Haenel, qui est un réalisateur pas génial ni très connu alors qu’elle est une excellente actrice très connue : s’il s’était appliqué un peu plus derrière sa caméra, s’il avait choisi d’agresser une gamine moins prometteuse, il aurait pu bénéficier du soutien de la profession et rafler des Césars lui aussi. Y a des mecs qui manquent de flair, les pauvres…
Il faut être atteint.e pour crier à la censure alors que ce film a été distribué dans 545 salles en France, et qu’il a raflé douze nominations aux Césars après avoir caracolé en tête du box office français. Non mais, crier à la censure alors que le cinéma continue d’appartenir à des hommes cisgenre hétéros blancs de plus de 50 ans comme Polanski, que 67% des personnages principaux à l’écran sont des hommes, que 42% d’entre eux occupent des postes de direction contre 27% des 33% de premiers rôles féminins, et que cette étude ne tient pas compte de la représentation des personnes racisées et/ou queer : ce serait comique si ce n’était pas aussi préoccupant…
Il faut être atteint.e pour confondre puritanisme et libération de toutes les paroles et plus seulement celles des puissants, pour faire d’un vieil hétéro blanc privilégié et accusé de viol sur mineures le symbole de la liberté d’expression, il faut être atteint.e pour nier à ce point la liberté d’expression des unes au profit de ceux qui la monopolisent depuis toujours.
Il faut être atteint.e pour afficher fièrement le soutien de Brigitte Bardot à Polanski sur son feed, comme si celle qui a libéré l’image de la femme dans les années 1950 était une référence en matière d’ouverture d’esprit, et pour légender le post « Vive Roman et merci de respecter sa femme et ses enfants » (sans déconner… « Merci de respecter sa femme et ses enfants » : c’est tellement énorme que ça mériterait un code postal…) Il faut être atteint pour poster « Bravo ! Quand le suffrage du vote l’emporte sur la vox populi » sous l’affiche du film, pour se réjouir qu’une bande de privilégiés crachent sur celleux dont ils ont écrasé la gueule jusqu’à être forcés à la démission.
C’est la seule bonne nouvelle de la soirée de vendredi. Ce César de la honte n’est finalement qu’une émanation du passé, c’est une mauvaise odeur qui finira par se dissiper avec le souvenir de ceux qui l’ont attribué. #MeToo a fait trembler les murs de ce carré VIP que d’aucun.e.s confondent avec la « démocratie ». Je souhaite que l’indignation d’Adèle Haenel, de Florence Foresti, d’Aissa Maiga et de tou.te.s celles et ceux qu’on n’entend pas encore ou pas encore assez achèvera de les abattre.